Par le "voyage", pris comme éloignement radical du milieu et du mode de vie habituels, se découvrent des femmes qui, ayant vécu des événements exceptionnels, en ont laissé des récits constitutifs de toute une littérature à découvrir, riche d'informations sur les femmes, le monde et l'histoire. lire l'éditorial
Ce site est consacré à un vaste corpus de « petite » littérature féminine du XIXe et des décennies autour. « Petite » littérature, car n’ayant pas valu le statut d’écrivaines à leurs auteures qui généralement n’ont écrit qu’un ouvrage inspiré d’une expérience ayant marqué leur vie, mais pour autant littérature non mineure, car transmettant jusqu’à nous une image forte et fortement genrée des mentalités de l’époque. Il est conçu pour faire découvrir des ouvrages peu en vue, mais précieux et accessibles dans leur grande majorité en paper back ou sur internet, grâce aux sites Gallica, projet Gutenberg, Internet Archive, BNF/Hachette, etc. ; il l’est tout autant pour faire connaître des femmes volontairement engagées dans un double processus d’émancipation par le « voyage » au sens de déplacement intégral de leur lieu de vie, et d’émancipation par l’écriture.
Sont présentés ici plusieurs ensembles de textes qui sont révélateurs des mentalités féminines de l’époque quand, sillonnant le monde du pôle Nord à Futuna, des femmes découvraient des populations et des pays étrangers en même temps que certaines étaient témoins ou participantes de deux grands phénomènes historiques, l’esclavage et la colonisation, tout en participant d’un troisième système de contact entre l’occident et le reste du monde : le tourisme.
- Les récits des voyageuses françaises du XIXe, soixante-dix-sept femmes françaises ayant couru le monde au-delà des pays européens voisins soit plus de cent publications en livres ou en épisodes dans les prestigieux mensuels de l’époque accueillant les récits de voyage.
- Les récits des voyageuses ayant été témoins de l’esclavage en Afrique, en Orient, aux États-Unis ou dans les Caraïbes. Cent quatre voyageuses de l’époque livrent leurs propres visions de l’esclavage dans les récits qu’elles publient à leur retour, certaines l’approuvant, et, à vrai dire, peu le dénonçant.
- Les récits des femmes ayant chassé les grands fauves au Kenya dans la période coloniale des années 1930, soit qu’elles aient été là comme colons, soit, très fortunées, qu’elles aient participé aux luxueux safaris de l’époque. Mis à part la Danoise Karen Blixen et la Suissesse Vivienne de Watteville, toutes sont anglaises ou américaines. Cette chasse avide et sans pitié telle qu’elle est racontée dans une quarantaine de textes, les commentaires sur les natifs kenyans et leur mode de vie, parlent très éloquemment des mentalités coloniales.
- Les récits des femmes capturées contre rançon entre le 17e siècle et notre époque et qui ont pu raconter leur calvaire. Essentiellement des chrétiennes capturées en Méditerranée par les Barbaresques et des femmes colons enlevées par les autochtones sur le sol des États-Unis. Une quarantaine de récits écrits dans la norme idéologique de leur société et de leur époque et qui, en retour, étaient utilisés pour réaffirmer le sentiment national.
- Les récits de femmes colons comportant, d’un côté, des témoignages de Françaises en Afrique et Asie, de Britanniques au Canada, en Inde et en Afrique, de Belges au Congo, d’Allemandes en Afrique, de l’autre, d’Européennes continentales et Anglaises participant à la conquête de l’Amérique du Nord. Les faits concernés s’étalent sur trois siècles entre 1675, pour le premier récit concernant la colonisation anglaise de la côte est de l’Amérique du Nord, et 1967, pour le dernier, en pleine période des indépendances et concernant le Nigeria. Attaques armées de ceux qui n’acceptent pas d’être spoliés de leurs terres, mais aussi excès de travail, maladies, fléaux divers, la mort rôde autour de ces narratrices. Forte présence qui a une explication : avoir vécu des événements tragiques motivait le passage à l’écriture pour un sexe qui ne s’y sentait pas autorisé, en même temps que levaient aussi les inhibitions à écrire la découverte de mondes nouveaux et le désir pédagogique de la faire partager. Un ensemble de 63 auteures pour un ensemble de textes qui par sa densité d’informations nourrit la grande et la petite histoire coloniale.
Ces ensembles de textes sont analysés par Françoise Lapeyre dans cinq ouvrages :
- Le roman des voyageuses françaises,
- Quand les voyageuses découvraient l’esclavage,
- Une écrivaine au Kenya, Vivienne de Watteville, une histoire des récits de la chasse coloniale féminine,
- C’était un matin rouge, histoire des récits de femmes capturées contre rançons,
- Le récit colonial féminin.
X
Aux XVIIIème et XIXème siècles, les Occidentaux courent le monde pour apprendre et découvrir, mais aussi pour faire la guerre, coloniser, évangéliser, commercer ou encore pour émigrer ou faire de tourisme. On parle moins d'elles mais des femmes prennent aussi la route alors que le déplacement est terriblement inconfortable et encore plus périlleux.
La diversité de la littérature féminine s’inscrit aussi dans un ensemble de récits de captivité nés sous la plume de survivantes d’enlèvements dramatiques dont la libération a été soumise à condition, paiement d’une rançon ou conversion. Des événements historiques se sont inscrits de cette manière dans des destins féminins : la colonisation anglaise des États-unis, la guerre de l’Europe chrétienne contre le monde turco-musulman, la conquête de l’ouest américain, l’abolition de l’édit de Nantes ou les faits actuels de terrorisme.
Partie au Kenya chasser les grands fauves en 1922 à une période de développement intensif des safaris de chasse coloniale, Vivienne de Watteville a, dès son second séjour en 1928, échangé le fusil contre l’appareil photographique. Deux expériences relatées dans deux ouvrages, "Out in the Blue" et "Un thé avec les éléphants - Petite musique sur le mont Kenya", appartenant à une importante littérature féminine de chasse coloniale au Kenya et dans les pays voisins à la même époque, une quarantaine d’ouvrages en anglais, difficiles à trouver et n’ayant pas connu de réédition. À partir de ces récits, Françoise Lapeyre documente cet univers de la colonisation qui redonne du rang aux femmes en les mettant au-dessus du colonisé, en leur livrant, à l’instar de leurs pères, maris ou amants, tous les biens du pays et abandonnant à la violence sans contrôle de leurs armes, une extraordinaire faune sauvage.
Avant Alexandra David-Neel, la France connaît mal ses grandes voyageuses. Pourtant, aventurières, artistes, expatriées, touristes, colon(e)s, militantes, premières femmes journalistes, ethnologues de terrain ou missionnaires, elles sont nombreuses à avoir pris la route avant 1900 pour la Sibérie, le Sénégal, la Chine, le Brésil ou la Perse et souvent triomphé d'épreuves impressionnantes. Charlotte-Adélaïde Dard survit au naufrage du radeau de La Méduse, Louise Fusil, actrice française du Théâtre impérial de Moscou, traverse la Bérézina avec les armées napoléoniennes en retraite. C'est un courage peu commun qui permet à Jane Dieulafoy d'acheminer de Perse jusqu'au Louvre d'inestimables trésors archéologiques. Les récits des premières voyageuses françaises s'inscrivent dans l'histoire du XIXe siècle, ce siècle d'expansion des connaissances et des territoires, de prosélytisme culturel, social et religieux. Destinées par les lois et les mentalités de l'époque plutôt à la vie domestique qu'à l'aventure, ces auteures modestes comme personnes mais fières comme voyageuses, fondent notre littérature féminine du grand voyage où l'on découvre de vrais talents dans la double qualité de l'écriture et du regard ainsi que d'exceptionnelles personnalités.
Entre les récits des toutes premières voyageuses du XVIIIe siècle et celles, nombreuses, qui sont sur les routes vers 1880, l'esclavage s'est non seulement maintenu dans le monde mais parfois intensifié, puis a été aboli. Sur cette période de presque deux siècles, toutes celles dont il est question ici ont vu des scènes d'esclavage. Leurs récits soit le nient, soit l'approuvent, soit le condamnent. La diversité des informations et des attitudes selon les pays et les époques constitue la richesse de cet ensemble des commentaires recueillis dans les écrits d'une cinquantaine de Britanniques, d'autant d'Européennes continentales et de quelques Américaines. L'objet n'est toutefois pas l'histoire de l'esclavage mais l'histoire des mentalités des femmes occidentales vis-à-vis de l'esclavage, fragment de l'histoire générale de l'esclavage. Au début, ce sont surtout des aristocrates qui voyagent ou s'exilent, à qui l'esclavage oriental des harems ou le servage des grands domaines russes semblent une condition naturelle à une partie de l'humanité. Viennent ensuite des femmes qui se trouvent exposées au spectacle de l'esclavage de plantations aux Caraïbes et dans les États du sud des États-Unis qui se partagent entre l'angoisse, la révolte et la découverte fascinée des tropiques où l'esclavage est perçu comme un supplément d'exotisme. Arrivent à la fin, celles qui sont plutôt dans la sphère des idées abolitionnistes, et celles qui commentent la situation d'après l'abolition avec toutes ses ambiguïtés.
LIVRES
La diversité de la littérature féminine s’inscrit aussi dans un ensemble de récits de captivité nés sous la plume de survivantes d’enlèvements dramatiques dont la libération a été soumise à condition, paiement d’une rançon ou conversion. Des événements historiques se sont inscrits de cette manière dans des destins féminins : la colonisation anglaise des États-unis, la guerre de l’Europe chrétienne contre le monde turco-musulman, la conquête de l’ouest américain, l’abolition de l’édit de Nantes ou les faits actuels de terrorisme.
Partie au Kenya chasser les grands fauves en 1922 à une période de développement intensif des safaris de chasse coloniale, Vivienne de Watteville a, dès son second séjour en 1928, échangé le fusil contre l’appareil photographique. Deux expériences relatées dans deux ouvrages, "Out in the Blue" et "Un thé avec les éléphants - Petite musique sur le mont Kenya", appartenant à une importante littérature féminine de chasse coloniale au Kenya et dans les pays voisins à la même époque, une quarantaine d’ouvrages en anglais, difficiles à trouver et n’ayant pas connu de réédition. À partir de ces récits, Françoise Lapeyre documente cet univers de la colonisation qui redonne du rang aux femmes en les mettant au-dessus du colonisé, en leur livrant, à l’instar de leurs pères, maris ou amants, tous les biens du pays et abandonnant à la violence sans contrôle de leurs armes, une extraordinaire faune sauvage.
Avant Alexandra David-Neel, la France connaît mal ses grandes voyageuses. Pourtant, aventurières, artistes, expatriées, touristes, colon(e)s, militantes, premières femmes journalistes, ethnologues de terrain ou missionnaires, elles sont nombreuses à avoir pris la route avant 1900 pour la Sibérie, le Sénégal, la Chine, le Brésil ou la Perse et souvent triomphé d'épreuves impressionnantes. Charlotte-Adélaïde Dard survit au naufrage du radeau de La Méduse, Louise Fusil, actrice française du Théâtre impérial de Moscou, traverse la Bérézina avec les armées napoléoniennes en retraite. C'est un courage peu commun qui permet à Jane Dieulafoy d'acheminer de Perse jusqu'au Louvre d'inestimables trésors archéologiques. Les récits des premières voyageuses françaises s'inscrivent dans l'histoire du XIXe siècle, ce siècle d'expansion des connaissances et des territoires, de prosélytisme culturel, social et religieux. Destinées par les lois et les mentalités de l'époque plutôt à la vie domestique qu'à l'aventure, ces auteures modestes comme personnes mais fières comme voyageuses, fondent notre littérature féminine du grand voyage où l'on découvre de vrais talents dans la double qualité de l'écriture et du regard ainsi que d'exceptionnelles personnalités.
Entre les récits des toutes premières voyageuses du XVIIIe siècle et celles, nombreuses, qui sont sur les routes vers 1880, l'esclavage s'est non seulement maintenu dans le monde mais parfois intensifié, puis a été aboli. Sur cette période de presque deux siècles, toutes celles dont il est question ici ont vu des scènes d'esclavage. Leurs récits soit le nient, soit l'approuvent, soit le condamnent. La diversité des informations et des attitudes selon les pays et les époques constitue la richesse de cet ensemble des commentaires recueillis dans les écrits d'une cinquantaine de Britanniques, d'autant d'Européennes continentales et de quelques Américaines. L'objet n'est toutefois pas l'histoire de l'esclavage mais l'histoire des mentalités des femmes occidentales vis-à-vis de l'esclavage, fragment de l'histoire générale de l'esclavage. Au début, ce sont surtout des aristocrates qui voyagent ou s'exilent, à qui l'esclavage oriental des harems ou le servage des grands domaines russes semblent une condition naturelle à une partie de l'humanité. Viennent ensuite des femmes qui se trouvent exposées au spectacle de l'esclavage de plantations aux Caraïbes et dans les États du sud des États-Unis qui se partagent entre l'angoisse, la révolte et la découverte fascinée des tropiques où l'esclavage est perçu comme un supplément d'exotisme. Arrivent à la fin, celles qui sont plutôt dans la sphère des idées abolitionnistes, et celles qui commentent la situation d'après l'abolition avec toutes ses ambiguïtés.